Rencontre avec Isabelle Chapuis et Alex VI, lors du vernissage sauvage de leur projet photographique commun, au détour d'une petite ruelle de Saint-Germain-des-Prés, à Paris.
Isabelle et Alexis, c’est la cohésion de leurs deux univers, la complémentarité de leurs dispositions et prédispositions respectives à la création, la connexion de deux âmes – sensibles – et se soldant par l’éclosion de la série Blossom. Un voyage onirique, doux, confortable mais vaguement désorientant...
Focus
Isabelle, avec Alexis vous travaillez ensemble sur le projet photographique Blossom : mais quel aura été l’élément déclencheur, à l’origine de cette collaboration ? Et de quelle manière alliez-vous vos talents respectifs dans le cadre de ces réalisations ?
Ce projet a trouvé son origine lors de la participation à un concours photographique, organisé par Speak focus sur le thème Paris, je t’aime. Nous avions choisi de représenter l’amour par un fumigène rouge-rose en plein Paris.
Arrivés 2ème au concours, depuis cette série n’a de cesse que de se développer.
Alex VI utilise la technique du light painting et je suis photographe de mode, récemment lauréate de la Bourse du Talent Mode.
Alex VI + Isabelle = Blossom !
Je m’explique: Avant de devenir photographe, Alex VI était décorateur d’intérieur. Ces années de métier lui ont permis d’acquérir une réelle compréhension de l’espace, une vision des volumes singulière.
Ma photographie est à l’inverse, intimiste et porte essentiellement sur les gens, leurs émotions.
Alex VI sent le cadrage, trouve l’émotion dans l’espace, alors que je perçois la façon de le scénariser de façon onirique. De ce fait, ces fumigènes de couleurs mis en scène dans des espaces forts, se trouvent exactement à la croisée de nos deux univers.
Nous sommes complémentaires tout en étant similaires sur ce qui nous anime. Il est rare que l’un ne ressente pas ce que l’autre propose et inversement. Nous sommes rarement d’avis différents, mais lorsque c’est le cas nous nous écoutons beaucoup et apprenons l’un de l’autre.
La mise en scène des fumigènes s’effectue dans « des lieux créateurs d’émotions », tout du moins, qui vous émeuvent personnellement : dans cette perspective, quels sont vos catalyseurs d’émotion ?
La lumière, primordiale, est un catalyseur d’émotion. Il nous arrive de repérer un lieu et d’y revenir à une autre heure de la journée pour que le lieu prenne l’envergure que nous souhaitons. Que le lieu soit urbain ou sauvage, si l’esthétique est forte nous nous projetons immédiatement.
La ville, la nature mais aussi la nature des gens. Car réaliser ces images au fil de nos pérégrinations nous demande de mettre en place des éléments qui nous emmènent à la rencontre des autres. A la suite de la série avec les basketteurs, nous avons en tête d’autres séries avec l’intervention de personnages en mouvement.
A l’instar de ce premier cliché - dont vous nous parlez plus haut - tiré de la série Blossom et où la couleur rouge symbolise l’amour… Les différentes autres couleurs utilisées symbolisent-elles d’autres grands thèmes ? De quelle manière déterminez-vous la couleur la plus appropriée à l’environnement que vous souhaitez mettre en scène ?
Les couleurs utilisées, mise à part la première qui effectivement symbolisait l’amour, sont choisies en fonction de la dimension onirique qu’elles peuvent apporter. Le fumigène, selon sa couleur, va raconter quelque chose de très différent.
Des nébuleuses angoissantes du pourpre, à l’explosion de joie du jaune vif, en passant par le sentiment de présences fantomatiques d’un vert sombre… Nous choisissons la couleur aussi et surtout pour des raisons esthétiques et de composition ; comme être dans le contraste ou bien le camaïeu.
Certains de vos clichés ont été réalisés en France, à Paris et à Deauville, quels sont les autres pays, dans lesquels vous vous êtes rendus et qui marquent aujourd’hui cette série ? Pourquoi avoir choisi ces pays ?
Paris était le point de départ, nous avons ensuite poursuivi cette série en Floride du coté de Miami, inspirés par les couleurs vives. Puis nous avons été très attirés par les atmosphères surprenantes du Mexique et du Guatemala. Nous nous sommes rendus en Espagne pour ses forêts qui ont tristement brûlées cet été. Nous souhaitions témoigner de cette violence et aussi, je dois l’avouer, en saisir la photogénie.
Plus récemment, nous avons réalisé notre toute dernière image à Deauville lors du concours de la 25ème heure dans le cadre du Festival Planches Contact. C’était la première fois que nous travaillions un fumigène de nuit, avec un temps de pause long, comme dans le light painting.
Le concours se faisant de nuit, cette contrainte nous a permis de nouvelles expérimentations.
Mais pour être sincère, nous ne choisissons pas toujours nos destinations en fonction de nos fumigènes, nous voyageons le plus souvent possible vers des lieux qui nous attirent (fumigènes en poche), où naît forcement l’inspiration, pour créer de nouvelles images, hautes en couleur.
Quelles sont vos références en matière de photographie et plus largement, d’art ? Où puisez-vous votre inspiration ? Dans quelles mesures ces références ont-elles - éventuellement - été mises au service de ce projet ?
Je ne peux pas dire que ce projet est venu de références précises. Il s’est présenté à nous de façon complètement spontanée, sans parler de références influentes.
Par contre, chacun a dans son univers des références qui lui sont propres. De mon coté, si je ne devais en citer qu’un je dirais Tim Walker, pour ses narrations féeriques dans la mode.
Dans le land art, j’aime beaucoup Nils Udo, Egon Schiele dans le dessin, les orientalistes et les esthètes dans la peinture, Almodovar dans le cinéma, Oscar Wilde pour sa plume… Je pourrais continuer encore longtemps… Ce qui prime pour moi c’est l’émotion, la recherche de l’esthétisme est fondamentale dans ma démarche, le sublime est pour moi une valeur qui, bien souvent, l’emporte sur le fond. L’émotion est mon moteur.
Alex dit : J’aime Xavier Veilhan pour ses origamis, Dali pour son univers surréaliste et sa technique ultra maîtrisée Zao Wou Ki pour le voyage libre qu’il me procure, Grégoire Alexandre pour sa dimension architecturale, sa façon de composer l’espace, Kubrick pour ses atmosphères spectaculaires qui me transportent.
Pourquoi avoir opté pour « une exposition sauvage » ? Est-ce pour son caractère fédérateur ?
Nous avions effectivement envie de donner à voir au plus grand nombre nos images, sortir des galeries traditionnelles. Etre en mouvement de façon libre semblait la continuation logique de cette série. L’affichage est à l’image de la réalisation de chaque photographie. Cependant ni l’un ni l’autre ne revendique d’être contre le fait d’exposer en galerie.
Dans notre approche, il n’y a pas de complexe ou de démarche contraire à faire un vernissage sauvage et vouloir vivre de ses images en galerie. Cette année, le thème du Festival Photo Saint Germain est « rêve et voyage ». Un thème sur mesure au regard de nos images !
Enfin, vous exposez lors du mois de la photographie 2012 à Paris, s’articulant autour de trois grand thèmes : small is beautiful, la photographie française et francophone de 1955 à nos jours, le réel enchanté… Pouvez-vous justifier votre appartenance à ce dernier ?
Effectivement, si nous devions n’en choisir qu’un « le réel enchanté » est celui qui correspond le mieux à notre série Blossom. Nous rendons « enchanteresque » un lieu bien réel de part la magie des fumées colorées. On lit dans nos nébuleuses, comme dans les nuages, des formes imaginaires…
Julie Robert x Isabelle Chapuis & Alex VI